"La circonstance est le meilleur aliment de la chanson, telle que le comprenait
Émile Debraux, et il savait l'exploiter avec autant de bonheur que
de talent. Fanfan la Tulipe, cette chaleureuse expression des sentiments
guerriers qui agitaient la France où la queue de l'invasion se traînait
encore à nos portes, aurait probablement fait moins de bruit quelques
années plus tard. L'intérêt qui se rattache aux plus
grandes choses se prescrit vite, mais celles que célébrait
la chanson, deux cent mille braves, à peine dépouillés
de leur vieil uniforme, venaient d'en être témoins. L'histoire
de Fanfan La Tulipe était la leur, rien n'y manquait, pas même
l'épilogue : Maintenant je me repose sous le chaume hospitalier..."
Voilà ce qu'en disait un ami d'Émile Debraux après
sa mort survenue en 1831.
Voici la chanson dans sa version originale, un peu différente
de celle que chantent aujourd'hui les enfants, probablement influencés
par l'interprétation qu'en a faite Dorothée il y a une vingtaine
d'année...
Ecoutez la musique :
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Fortin
Comme la mari d'notre mère
Doit toujours s'appeler Papa
Je vous dirais que mon père
Un certain jour me happa
Puis me m'nant jusqu'au bas d'la rampe
M'dit ces mots qui m'mir'nt tout sans su' d'sous
"J'te dirai, ma foi,
N'a a plus pour toi,
Rien chez nous,
V'la cinq sous
Et décampe!
En avant
Fanfan la Tulipe
Oui, mill' nom d'une pipe
En avant!
II
Puisqu'il est d'fait qu'un jeune homme,
Quand il a cinq sous vaillant,
Peut aller d'Paris à Rome,
Je partis en sautillant,
L'premier jour je trottais comme un ange,
Mais l'lendemain
J'mourais quasi d'faim,
Un r'cruteur passa
Qui m'proposa...
Pas d'orgueil,
J'm'en bat l'oeil,
Faut que j'mange!
Refrain
III
Quand j'entendis la mitraille,
Comme j'regrettais mes foyers,
Quand j'vis à la bataille,
Marcher nos vieux grenadiers,
Un instant, nous somm's toujours ensemble
Ventrebleu, me dis-je alors tout bas!
Allons mon enfant,
Mon p'tit Fanfan,
Vite au pas,
Qu'on n'dis' pas
Que tu trembles!
Refrain
IV
De vrais soldats de la garde,
Quand les feux étaient cessés,
Sans t'garder à la cocarde,
J'tendais la main aux blessés,
D'insulter des homm's vivant encore,
Quand j'voyais des lâch's se faire un jeu,
Ah! mill' ventrebleu,
Quoi!
Devant moi
J'souffrirais
Qu'un Français
S'déshonnore!
Refrain
V
Vingt ans soldat, vaill' que vaille,
Quoiqu'au d'voir toujours soumis,
Une fois hors du champs d'bataille,
J'n'ai jamais connu d'enn'mis,
Des vaincus la touchante prière,
M'fit toujours voler à leur secours.
P'têt' c'que j'f'rai pour eux
Les malheureux
L'front un jour
A leur tour
Pour ma mère!
Refrain
VI
A plus d'une gentill' friponne,
Mainte fois j'ai fais la cour,
Mais toujours à la dragonne,
C'est vraiment l'chemin l'plus court.
Et j'disais quand un' fille un peu fière,
Sur l'honneur se mettait à dada
N'tremblons pas pour ça.
Ces vertus là,
Tôt ou tard,
Finiss'nt par
S'laisser faire!
Refrain
VII
Mon père dans l'infortune
M'app'la pour le protéger,
Si j'avais eu d'la rancune,
Quel moment pour me venger!
Mais un franc et loyal militaire,
D'ses parents doit toujours êtr' l'appui
Si j'n'avais eu qu'lui,
J's'rais aujourd'hui
Mort de faim,
Mais enfin,
C'est mon père!
Refrain
VIII
Maintenant je me repose,
Sous le chaume hospitalier,
Et j'y cultive la rose,
Sans négliger le laurier,
D'mon armur' je détache la rouille,
Car si l'temps ramenait les combats,
De nos jeun's soldats,
Guidant les pas,
J'm'écrirais,
J'suis Français,
Qui touch' mouille!