.

1962 : les pros sont à Paris avec Rosewall en tête d'affiche.
(43) 1960-1967 Les grandes heures 
du tennis professionnel
Épisode précédent : 1965-67 Newcombe-Roche, et les dernières années du tennis amateur

Épisode suivant : 1967 Le coup d'état d'Herman David


En 1961, Jack Kramer décide de passer la main. Depuis dix ans, Kramer était l’organisateur et le dirigeant du tennis professionnel. Il avait créé sa propre entreprise dans laquelle il avait investi l’argent qu’il avait gagné comme joueur. Son retrait va amener les professionnels à s’organiser autrement.

Sous l’impulsion de Rosewall et Hoad est créée une structure associative: l’IPTA (International Professional Tennis Association). Cette structure accueillit alors la quinzaine de joueurs pros en activité avec un président, un secrétaire et un trésorier. Il n’y avait plus de patron et les joueurs étaient solidaires et responsables du succès ou de l’échec de l’entreprise. 

Avec ce mode de fonctionnement solidaire, il n’était plus question d’offrir des sommes fixes garanties considérables aux nouveaux postulants professionnels comme le faisait Kramer. La première priorité fut d’attirer le nouveau champion amateur auteur du deuxième grand chelem de l’histoire, Rod Laver. Mais là où Trabert avait obtenu 80.000$ pour la première année, Rosewall 65000$ et Hoad 100.000$, Laver ne put obtenir qu’une garantie de 100.000$ sur 3 ans. Et ce n’était qu’une garantie: Laver participait aux compétitions professionnelles dotées de prix en espèces et si à l’issue des 3 ans il n’avait pas gagné 100.000$. Les autres joueurs lui garantissaient solidairement la différence.
 

Rosewall régnait alors sans partage sur le tennis professionnel. Il avait succédé à Pancho Gonzales qui depuis 1960 avait levé le pied. Pancho, à 32 ans restait un adversaire très dangereux, mais il n'avait plus la constance et la motivation nécessaire. Le Petit Maître de Sydney, avec son revers magique et son toucher de balle, jouait un tennis de plus en plus précis et enchanteur. Moins puissant que Gonzales au service, Rosewall était par contre impérial sur sa ligne de fond de court et ses attaques, surtout sa volée de revers, frisaient la perfection.

L’arrivée de Laver donna une nouvelle impulsion au tennis pro. L’Australien perdit ses premiers matchs contre Hoad et Rosewall et les anciens purent démontrer qu’il dominaient encore le tennis mondial. Les journaux s’intéressèrent quelque temps à ces confrontations, et puis finirent par les ignorer complètement. La séparation totale des structures amateurs et professionnels jouait contre ces derniers. Aux amateurs les grands tournois et la coupe Davis, aux professionnels les tournées épuisantes et les tournois en salle et à la lumière artificielle. Certains faisaient même courir le bruit que les tournois professionnels étaient truqués, ce qui n’arrangeaient pas leurs affaires. Pendant ce temps, Emerson et Santana gagnaient probablement autant sinon plus que ces professionnels officiels, et continuaient d’écumer les tournois du grand chelem. Emerson put ainsi tranquillement établir au fil des ans un record de 12 titres en grand chelem qui fit longtemps référence... Il est bon de rappeler quelque fois dans quelles conditions ce record (battu depuis par Pete Sampras) avait été établi.


Affiche de la tournée Rosewall-Laver, 1963

Affiche du tournoi pro de Wembley, 1964
  Rosewall conserva sa place de N°1 jusqu'en 1965, puis a trente ans passés, il dut laisser Laver devenir la nouvelle vedette du tennis professionnel. Le gaucher australien était devenu un formidable attaquant, son adresse et ses réflexes au filet le rendaient pratiquement imbattable sur surface rapide. Mais les deux australiens étaient très proches l'un de l'autre et Rosewall garda longtemps encore une supériorité certaine sur les surfaces plus lentes comme la terre battue.

En septembre 1965, les professionnels se retrouvèrent à Paris pour un tournoi en salle au stade Pierre de Coubertin. L'inauguration de l'International Club de Lys à Chantilly fut alors l'occasion d'une des rares, et peut-être même la seule rencontre qu'il y eut à l'époque sur un court de tennis entre des amateurs et des professionnels (c'était en principe strictement interdit...). C'est ainsi que Darmon, Jauffret et Barthès se retrouvèrent avec Rosewall, Laver, et Sedgman à Chantilly où un des courts justement devait porter le nom du Petit Maître de Sydney! Les professionnels échangèrent quelques balles avec les amateurs au cours d'une rencontre amicale qui n'en était pas moins "Open". Cet événement aurait pu être le signe avant coureur d'un rapprochement, il n'en fut rien. Si les joueurs s'estimaient et se respectaient, il n'en était pas de même des dirigeants. Il parait que les joueurs français se firent vertement rappeler à l'ordre pour avoir osé partager un court de tennis avec les "bannis" du tennis officiel...

Cette visite à Paris fut l'occasion pour Frank Sedgman, président de l'association des joueurs professionnels, de donner son point de vue sur les rapports entre le tennis amateur officiel et le tennis professionnel. Voir cette très intéressante interview qu'il a donnée au journaliste du Miroir des Sports.

 

Darmon et Barthès face à Sedgman et Laver
La première rencontre "Open" de l'histoire ?

A gauche, Rosewall baptise le court qui porte son nom.
De g. à d. Darmon, Jauffret, Barthès, Rosewall, Sedgman et Laver.


En septembre 1965, le Miroir des Sports rend compte de la finale du tournoi professionnel de Paris.
Notez que le journal ne mentionne pas le score...
En ce qui concerne la description de ce que pouvait être la vie des professionnels de ces temps héroïques, je ne peux que répeter ce qu'en disait Gianni Clerici dans son excellent ouvrage "500 ans de tennis": "Ils jouaient, en fait ils se battaient jusqu'au sang, même s'ils ne gagnaient pas un cent de plus, simplement pour se montrer l'un l'autre qui était le meilleur, avec l'égarement de chavaliers errants".

Laver plus tard racontera cette vie d'errance : "Il suffisait qu'il y ait de l'argent et nous aurions joué pieds nus sur du verre pilé ! Nous étions des gitans, et les gitans ne regardent pas où ils font leur exhibition. Nous avons fait une tournée en Amérique avec deux camionnettes, jouant dans plus de soixante villes en quatre-vingt jours. Une fois pour 1000$, nous sommes allés à quatre jouer jusqu'au Soudan, à Khartoum pour y trouver la révolution. L'organisateur téléphona à des amis, les amis à d'autres amis, et ainsi réussit à trouver les mille dollars. Nous jouâmes sur du gazon, puis tout de suite après sur du ciment en nocturne. Nous étions entourés de fil de fer barbelés, mais aussi par une telle quantité de moustiques qu'à certain moment, nous fûmes obligés d'arrêter. Les spectateurs applaudirent, puis disparurent. On entendait des coups de feu... "

 

Wembley 1967. Avec en vedette :
Gonzales, Laver
Ralston et Rosewall
.
Inteview de Frank Sedgman, président de l'association des joueurs professionnels, septembre 1965
.
Comment s'effectue le recrutement des tennismen professionnels ?
Comme dans tous les sports à section professionnelle, il nous faut recruter les amateurs, ou prétendus tels, les éléments les plus aptes à devenir professionnels, en se consacrant au tennis de compétiton. Notre politique est d'inviter le meilleur amateur de l'année à rejoindre nos rangs. Un joueur ne nous intéresse que lorsque son palmarès s'enrichit de quelques succés retentissants (Roland Garros, Forest Hills, Wimbledon, etc...). A ceux que nous sollicitons, nous proposons une "garantie" variant de 1 an (Marvyn Rose par exemple) à 3 ans (Rod Laver). Cette "garantie", établie par contrat devant des hommes de loi, peut atteindre des sommes trés élevées ; Laver s'est vu ainsi offrir, après son grand "chelem" de 1962, 100.000 dollars (50 millions d'anciens francs) répartis sur 3 ans. Laver n'a pas fait une mauvaise affaire : en deux ans, il a déjà largement dépassé ce total, en gagnant 35 millions la première année et 31 millions la seconde.

Une fois la garantie atteinte, que se passe-t-il ?
Si dans le pire des cas, un joueur ne parvenait pas par ses gains personnels à atteindre le montant de sa garantie à l'expiration de son contrat, l'Association lui  verse intégralement la somme prévue. Mais ce cas ne s'est encore jamais produit. En général, les joueurs dépassent leur garantie et nous ne renouvelons aucun contrat (à quelques exceptions temporaires près, comme cette année dans le cas de Segura venu 4 semaines en Europe pour une garantie de 5.000 dollars, soit 2.500.000 anciens francs). Une fois donc le contrat terminé, les champions deviennent membres à part entière de l'Association et, à ce titre, ils peuvent choisir leurs matches et leurs tournois. Tant qu'ils sont sous contrat, ils sont tenus de jouer là où l'Association le leur demande. Actuellement, seul Laver est sous contrat, et entre dans sa troisième et dernière année.

Eprouvez-vous des difficultés pour renouveler les cadres ?
Oui, indiscutablement. A l'heure actuelle, le niveau du tennis amateur est relativement faible et, fatalement, nous en subissons le contrecoup. En outre, les amateurs perçoivent des "dessous" de table assez importants et, surtout, dépourvus de toute perception fiscale... Ce sont là des difficultés supplémentaires... Voici un exemple récent : Stolle et Pietrangeli recevront des garanties approximatives de 50.000 dollars (25 millions d'anciens francs) sur 3 ans, ils nous les ont demandées parce qu'ils avaient besoin d'être... rassurés sur leur avenir dans nos rangs. Mais Emerson, lui nous a fait savoir qu'il ne consentirait pas à devenir professionnel à moins de... 200.000 dollars (100 millions) ! Notre Association ne continuera pas les pourparlers sur cette base insensée. Emerson attendra longtemps de nos nouvelles. Sans doute, peut-il se montrer aussi exigeant parce qu'il bénéficie de ressources peu avouables pour un tennisman prétendu amateur (1).

D'où le tennis professionnel tire-t-il ses ressources ?
Au début, il y eut une mise de fonds de Jack Kramer. Maintenant, le tennis vit de ses propres recettes, de l'organisation de grands tournois (Paris, Londres, New York, Los Angeles, Melbourne, Sydney, etc...), de ses World Series (matches à 4 joueurs qui permettent d'établir un classement annuel de nos effectifs), de certains duels répartis sur 100 matches entre le N° 1 mondial du moment et son challenger (nous avons ainsi fait des Gonzalez-Hoad et des Gonzales-Rosewall à travers les Etats-Unis et l'Australie). Notre argent est donc très pur. Sur toutes les recettes enregistrées par nous dans le monde, nous effectuons un prélèvement de 15 % destiné à régler tous les frais des voyages transatlantiques et à entretenir un "fonds de caisse" dans lequel puise l'Association pour donner, à ceux qui le demandent, des avances sur garanties.

La répétition des matches n'engendre-t-elle pas une certaine monotonie et, par là même, ne finit-elle pas par  nuire à la régularité des compétitions?
Non, les joueurs s'affrontent d'abord pour gagner de l'argent, beaucoup d'argent (il existe une différence de 300.000 anciens francs entre le prix du vainqueur de Coubertin et celui de finaliste). Ensuite, tous leurs résultats comptent pour un classement annuel très important pour la saison prochaine. De plus, ils font souvent des paris entre eux ce qui ajoute au piment des matches (Gonzales et Sedgman sont les plus acharnés à ce jeu). Enfin, ils aiment sincèrement le tennis et cet affrontement constitute une garantie supplémentaire.

Quelle est votre position à propos d'événtuels tournois open ?
Nous sommes favorables aux tournois open. Aussi bien, soyons francs, pour élargir notre champ de compétitons que pour l'intérêt même du tennis. Les champions amateurs disputent moins de matches forts que les professionnels. Ils gagneraient à se mesurer avec nous. Enfin, une défaite d'un professionnel devant un amateur serait un extraordinaire piment et ouvrirait la perspective d'une spectaculaire revanche. Cela dit, nous pensons que l'organisation éventuelle de tournois open ne devrait être réservée qu'à quelques compétitions majeures (Roland-Garros et Wimbledon entre autres) choisies d'un commun accord.

Existe-t-il un tennisman français susceptible de vous intéresser ?
Il n'y en a qu'un Pierre Barthès. Il possède les qualités naturelles voulues et, indiscutablement, il serait bien plus dans son élément chez les professionnels que chez les amateurs. Le tennis professionnel, où il s'agit toujours de jouer à la perfection, est une excellente école de volonté. Barthès est assez jeune et robuste pour s'y affirmer.

Voulez-vous terminer sur une déclaration particulière ?
Nous souhaiterions que nos détracteurs acceptent de considérer que les professionnels jouent avec une sincérité et un enthousiasme, qui sont précisément l'inverse de ce que pense parfois le grand public. Il n'y a pas place pour le truquage chez nous. Sinon, nous ferions bien les choses et, par exemple, dans nos tournois étalés sur plusieurs soirées (comme à Paris) nous demanderions aux meilleurs de jouer tous les soirs. Voilà un exemple concret, il nous semble...

(1) N.D.L.R. : Paradoxalement, tous les professionnels ont placé leur argent et sont devenus des hommes d'affaires alors que la plupart des amateurs n'ont ni le temps ni les possibilités d'exercer un métier ou une profession en dehors du tennis.

Épisode précédent : 1965-67 Newcombe-Roche, et les dernières années du tennis amateur

Épisode suivant : 1967 Le coup d'état d'Herman David

Des idées, des remarques, des suggestions?E-mail
 

Dernière mise à jour : 10 avril 2010
Copyright BLANCHE NET communications.
Avril 2010. .