Quand j'eus seize ans,
le beau Julot
Me dit la gosse tu d'viens
belle môme
Tes mirettes m'on troublé
l'cerveau
Si tu voulais j'srais ton
p'tit homme
Sur les fortifs là-bas là-bas
Un soir d'la saison printanière
Julot m'a prise entre ses
bras
Et je m'suis donnée
toute entière
Pendant longtemps ce fut
si beau
Qu'les jours passaient
comme des minutes
On s'bécotait comme
des moineaux
Ah ! quelle culbute !
L'bonheur des uns rend les
autr's fous
Un jour Polype de r'tour
du bagne
Dit à mon homme
: - moi j'suis jaloux
Ta femme me plaît,
viens qu'on s'la gagne !
Sur les fortifs là-bas
là-bas
Ils sont partis dans la
nuit brune
C'était deux hommes
qui n'flanchaient pas
Leurs couteaux brillèrent
sous la lune
Ils luttaient, d'la haine
plein les yeux
Quand tout à coup
du haut d'la butte
Vl'à qu'ils sont
tombés tout les deux
Ah quelle culbute
!
Un cri, un râle et
puis plus rien !
J'suis restée là
comme un femme saoule
J'me suis penchée,
j'm'en souviens
J'ai vu qu'j'avais perdu
la boule
Dans les fortifs là-bas
là-bas
Que'que chose qui saigne,
que'que chose de rouge
Julot vers moi tendait
les bras
Malgré la mort,
l'ignoble bouge
C'était mon coeur
qui s'trouvait là
Emporté par lui
dans sa chute
Et j'l'ai jamais r'trouvé
d'puis ça,
Ah ! quelle culbute !