Le bonheur complet règne dans le ménage
Tous les deux s'adorent, ce sont de braves gens
D'un blond chérubin, le gai babillage
Dans leur nid d'amour a mis le printemps
Le joli tyran réclame sans trêve
Un polichinelle ; aussi l' jour de l'an
Son père lui rapporte l'objet de son rêve
Heureux d' faire plaisir à son cher enfant
Le joujou devient son plus grand ami
Et souvent l' gamin en riant lui dit
"Tu m'amuses quand j' tire la ficelle
Aussi j' peux bien te le dire tout bas
Seulement tu ne le répéteras pas :
Après ma mère et mon papa
C'est toi que j'aime le mieux
Mon beau polichinelle"
Mais sur ce bonheur passe la rafale
L'ouragan mauvais qu'on n' peut pas prévoir
Le père tombe malade, la misère s'installe
Au charmant foyer jadis plein d'espoir
L'argent mis d' côté dans les jours prospères
S'en va p'tit à p'tit chez le pharmacien
Et les pauvr' bijoux des anniversaires
Sont au mont-d'-piété, la mère n'a plus rien
Et le cher petit, voyant son tourment
À son grand ami murmure naïvement
"Pourquoi donc petite mère est-elle
Accablée sous l' poids des malheurs ?
D'où viennent donc toutes ces douleurs ?
J' voudrais pouvoir sécher ses pleurs
Dis-moi c' qu'il faut qu' je fasse
Mon beau polichinelle"
Le père est plus mal "Faut refaire l'ordonnance"
A dit le docteur, mais y a plus un sou
Et pendant qu' la mère pleure son impuissance
L'enfant, dans la rue, emporte son joujou
Il va droit devant lui, connaissant la route
Serrant dans ses bras son joli pantin
Et son petit coeur bat bien fort, sans doute
Quand au mont-de-piété il entre soudain
Et comme l'employé l'interroge doucement
"J' veux sauver papa ! dit-il gravement,
Chez nous la misère est cruelle
Mais j' veux plus voir pleurer maman
Pour acheter des médicaments
Veux-tu m' donner un peu d'argent ?
C'est pour ça que j' te gage
Mon beau polichinelle"