Par chez nous, dans la vieille lande
Ousque ça sent bon la lavande,
Il est un gâs qui va, qui vient,
En rôdant partout comme un chien
Et, tout en allant, il dégoise
Des sottises aux gens qu'il croise.
Honnêtes gens, pardonnez-lui
Car il ne sait pas ce qu'il dit :
C'est un gâs qu'a perdu l'esprit !
- Ohé là-bas ! bourgeois qui passe,
Arrive ici que je t'embrasse ;
T'es mon frère que je te dis
Car, quoique t'as de bieaux habits
Et moi, des hardes en guenille,
J'ont tous deux la même famille
- Ohé là-bas ! le gros vicaire
Qui menez un défunt en terre,
Les morts n'ont plus besoin de vous,
Car ils ont bieau laisser leurs sous
Pour acheter votre ieau bénite,
C'est point ça qui les ressuscite...
- Ohé là-bas ! Monsieu le Maire,
Disez-moué donc pourquoi donc faire
Qu'on arrête les chemineux
Quand vous, qui n'êtes qu'un voleur
Et peut-être ben pis encore,
Le gouvernement vous décore. '
- Ohé là-bas ! garde champêtre,
Vous feriez ben mieux d'aller paîtr'
Qu'embêter ceux qui font l'amour
Au bas des talus, en plein jour ;
Regardez si les grandes vaches
Et les petits moineaux se cachent.
- Ohé là-bas ! bieau militaire
Qui traînez un sabre au derrière
Brisez-le, jetez-le à l'ieau
Ou ben donnez-le moi plutôt
Pour faire un coutre de charrue...
Je mourrons ben sans qu'on nous tue.
Et si le pauvre est imbécile
C'est d'avoir trop lu l'Evangile ;
Le fait est que si Jésus-Christ
Revenait, aujour d'aujord'hui,
Répéter cheu nous, dans la lande
Ousque ça sent bon la lavande.
Ce que dans le temps il a dit,
Pas mal de gens dirin de lui :
"C'est un gâs qu'a perdu l'esprit ! ..."