Le professionnalisme et la première tournée de Suzanne Lenglen Épisode précèdent : 1923, la naissance de la Wightman Cup Épisode suivant :L'après Suzanne Lenglen
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Mary K. Browne et Suzanne Lenglen première tournée pro, 1927 |
Depuis
1894, les lois de l'amateurisme édictées par les responsables
olympiques stipulent "qu'un sportif ne doit percevoir aucune rémunération
dans l'exercice de son sport. De plus, celui ci est tenu d'acquitter une
cotisation et de subvenir à ses frais".
Dans les années 1900-1925, les principes de l’amateurisme sont appliqués avec rigueur. Sont interdits de toutes les compétitions sportives ceux qui de près ou de loin manipulent de l’argent dans le cadre de leur sport. Souvent, une simple accusation suffit pour provoquer des sanctions, même quand les faits ne sont pas prouvés. Dans le monde du tennis, les professeurs sont bien sûr interdits de compétition et les fabricants de raquettes ne peuvent se servir des noms des champions qui utilisent avec succès leur matériel . Les joueurs doivent donc être riches ou avoir une situation professionnelle bien établie pour pouvoir s’entraîner correctement et financer les longs voyages qu’exigent les rencontres de coupe Davis. |
Jim Thorpe |
Ces
principes étant posés, cela mène tout droit à
distinguer deux catégories de sportifs de haut niveau: les riches
et les pauvres. Les premiers peuvent bien sûr passer leur temps à
s'entraîner et à voyager, les seconds doivent impérativement
trouver rapidement des compensations. D'où, dans certains cas une
hypocrisie certaine, et d'en d'autres, des accusations proférées
par des gens dont la motivation est plus que discutable. On navigue alors
entre délations anonymes et exclusions à vie, tout cela guidé
par la jalousie, le désir de rester entre gens aisés, ou
d'autres sentiments encore moins avouables comme le racisme...
Le cas le plus célèbre et le plus dramatique d’un sportif accusé de professionnalisme est celui du décathlonien américain Jim Thorpe. Brillant médaillé d’or à Stockholm en 1912 en pentathlon et décathlon, cet américain d’origine indienne est accusé à son retour d’avoir touché de l’argent. Aurait-il été payé pour s'entraîner? Aurait-il monnayé les résultats de ses exploits ? Rien de tout cela. Quelques jaloux avaient ressorti sur la place publique une affaire vieille de plusieurs années: il aurait touché quelques dollars pour sa participation à des matchs de base ball. Qu’importe que cette somme ridicule ait à peine suffit à payer ses déplacements à une époque où Jim Thrope était pauvre - il était né dans un réserve indienne -. L’accusation fut reprise par tous les médias américains avec une violence inouïe et le malheureux dut rendre ses médailles, fut immédiatement privé de ses titres olympiques et banni à jamais de toutes les compétitions sportives… Jim Thorpe essaya de se justifier tout en reconnaissant les faits, mais ce fut pire encore. Après deux ans de bataille, il finit par renoncer et se lança avec succès dans le football professionnel. Il mourut dans la misère en 1953, profondément meurtri de ce qu'il avait toujours considéré comme une injustice. Il fut officiellement réhabilité en 1984 pendant les J.O. de Los Angeles. |
Le tennis à ses débuts est indiscutablement un sport de gens aisés qui pratiquent leur passe temps dans des clubs très fermés. Il ne devrait donc pas y avoir de problème d'argent, et pourtant.... Le français Max Decugis en 1910 est la première victime de cette chasse aux sorcières. De quoi s’agissait-il exactement ? Champion de France depuis plusieurs années, il en avait plus qu’assez de collectionner les objets souvenirs – porte-cigarettes, cendriers, timbales, petites cuillères et autres ustensiles de ménage ou décoratifs plus ou moins utiles – qui constituaient à l’époque les prix en nature remis aux vainqueurs des tournois de tennis. Il demanda donc aux organisateurs de les remplacer par des bons d’achat et finit par en accumuler suffisamment pour pouvoir s’acheter une automobile ! Accusé de professionnalisme, il fut interdit de compétition pendant plus d’un an avant de réussir à se justifier… |
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Max Decugis, privé de championnats de France en 1910 et 1911. |
L’américain Tilden a également été victime d'accusations injustifiées. Un mois avant la rencontre de coupe Davis à Paris en 1928, il est tout à coup suspendu sous prétexte qu’il se fait rémunérer pour les articles sur le tennis qu’il écrit dans les journaux américains. Le journaliste ne devrait pas être incompatible avec le sport amateur et pourtant… L’accusation est d’autant plus curieuse que Tilden écrivait des articles et des livres sur le tennis depuis plusieurs années déjà ! C’est alors l’inquiétude côté français et les pressions se multiplient pour que Tilden puisse participer à la rencontre. On fait intervenir le président de la république, l’ambassadeur américain à Paris et Tilden est miraculeusement requalifé quelques jours avant la rencontre. Mais à son retour aux Etats-Unis, il est de nouveau attaqué et restera suspendu encore 6 mois avant d’être finalement blanchi… |
En
1926, les grandes rencontres de tennis attirent de plus en plus de spectateurs,
en coupe Davis comme à Wimbledon ou Forest Hills. Mais il y a somme
toute assez peu de compétitions de haut niveau et elles ont lieu
toujours aux mêmes endroits. Le public concerné est forcément
limité et toujours le même. La télévision n’existe
pas, la radio n’en est qu’à ses débuts et les actualités
cinématographiques ne peuvent pas faire partager au public l’ambiance
et l’intensité d’un match de tennis. Nul doute qu’il existe potentiellement
un vaste public à travers les Etats-Unis, public qui serait prêt
à payer pour pouvoir enfin admirer de près les artistes de
la raquette…
Le promoteur américain C.C.Pyle réussit le premier à mettre sur pied une tournée professionnelle à travers les Etats-Unis. La grande vedette est Suzanne Lenglen, qui vient de scratcher à Wimbledon et qui est prête pour une nouvelle vie dans le tennis. Les autres joueurs sont quatre américains et un français : |
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Le programme de la première tournée. |
Suzanne Lenglen en démonstration |
La
tournée hivernale 1926-27 fut un demi-succès, l’affiche n’étant
probablement pas assez alléchante. Suzanne Lenglen gagne très
facilement et sans surprise ses 38 matchs contre l’américaine. Côté
masculin, Vincent Richards est le seul joueur d’envergure mais ne suffit
pas non plus pour attirer le public.
En 1927, à la suite de la défaite américaine en coupe Davis, le promoteur propose 50.000$ à Bill Tilden, mais celui ci refuse, préférant, malgré ses 35 ans, tenter l’aventure des voyages en Europe pour essayer de reconquérir le prestigieux trophée. Du coup, la tournée va continuer à vivoter pendant trois ans avant de faire faillite. Suzanne Lenglen, mariée entre temps au millionnaire américain Charles Baldwyn, était alors en plein divorce. Elle choisit de retourner en France pour fonder une école de tennis. Paul Feret abandonna le professionnalisme, mais il dut reverser à la fédération française l’intégralité des sommes qu’il avait gagnées afin d’être requalifié amateur. Quant à Vincent Richards, il dut attendre 1931 et le passage chez les professionnels de Bill Tilden, pour reprendre les tournées à travers les Etats-Unis, cette fois avec succés. |
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Épisode
précèdent : 1923, la naissance de la Wighman Cup
Épisode suivant :L'après
Suzanne Lenglen
Dernière mise à jour : 10
avril 2010
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Avril 2010.
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