Son premier Roland Garros, Avec son entraîneur Lennart Bergelin |
Le premier Roland-Garros de Bjorn Borg
Dans cette ambiance de guerre ouverte entre les fédérations et les promoteurs privés d'Intervilles, la victoire de Jimmy Connors aux internationaux d'Australie passa presque inaperçue. Il faut dire qu' à part Newcombe, N°2 à l'ATP, aucun des grands du tennis n'est présent. L'Australien à peine remis de sa blessure contractée au Masters, disparaît prématurément, battu en trois sets par son compatriote Ross Case. La voie est libre pour l'américain qui bat successivement les australiens Alexander et Dent pour remporter le premier grand titre de sa carrière. |
Connors à l'attaque, comme le public le découvrit en 1974 |
Cette première victoire en grand chelem est une demi-surprise mais ne convainc pas encore. On attendait mieux de lui. L'américain fort de ses onze succès en 1973 s'était discrètement glissé à la troisième place du classement ATP. Mais Connors, avec ses allures d'enfant gâté, ses déclarations fracassantes ("Je suis marié avec ma raquette !"),ses attitudes provocatrices sur le court (il avait été partenaire de double de Ilie Nastase, donc à bonne école...), son revers à deux mains, sa raquette métallique (Wilson T2000 qui était la version américaine de la Lacoste), son idylle avec Chris Evert et son caractère indépendant (il n'était pas membre de l'ATP et ne jouait pas les tournois de la WCT), Connors donc ne rentrait pas dans le moule. De plus, il lui manquait encore une grand victoire sur Nastase ou Newcombe, les grands favoris de la saison 1974. Pire, il avait signé un contrat avec les promoteurs d'Intervilles, ce qui en faisait un mauvais exemple à ne pas suivre, un rentier en dollars alors qu'il n'avait encore rien prouvé, et pour les dirigeants de Roland-Garros, un paria ! D'ailleurs, plutôt que de parler tennis, les journaux de l'époque préférèrent s'intéresser aux à-côtés frivoles du tournoi. Avec Chris Evert finaliste et Jimmy Connors vainqueur, Tennis de France fait son titre sur "Les fiancés de Melbourne" plutôt que sur la première victoire en grand-chelem du jeune américain. Bref, après ce premier grand titre, "Jimbo" devait encore confirmer pour convaincre. |
Côté
tennis, deux faits méritent tout de même d'être notés
au cours de ces internationaux d'Australie :
- la première et unique participation de Bjorn Borg. A 17 ans, le suédois classé tête de série N°3 passe un tour avant d'être éliminé en trois sets par Phil Dent. L'herbe n'est pas encore sa tasse de thé, il s'améliorera par la suite... - le grand retour à la compétition de Tony Roche. L'australien, ancien N°2 mondial en 1969 derrière Rod Laver n'avait pas participé à un tournoi du grand chelem depuis plus de deux ans à cause d'une douleur au coude (le fameux "tennis-elbow"). Obligé de plonger son avant-bras dans l'eau glacée après chaque match pour soulager la douleur, il avait dû renoncer à la compétition pour parcourir le monde à la recherche d'un traitement miracle. Son retour est prometteur: il est battu en 5 sets par Ross Case après avoir mené deux sets à zéro. A 29 ans, il n'est pas encore trop tard et Tony Roche va tout faire pour rattraper le temps perdu. Tony Roche,
le revenant ==>
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Tennis de France Avril 1974 "Bjorn Borg sera-t-il le meilleur cette année ?" |
Connors aligna alors une impressionnante série de succès: 8 finales et 7 victoires pendant les trois premiers mois de l'année. Certes, la série de tournois secondaires auxquels il participe n'est pas fréquentée par les vedettes, mais c'est sans aucun doute l'homme en forme du moment. C'est pourtant un autre joueur qui va retenir l'attention des observateurs en ce début d'année 1974: Bjorn Borg. A 17 ans, le suédois passe officiellement professionnel et participe pour la première fois au circuit hivernal de la WCT. Son ascension est rapide, ses succès impressionnent pour son âge, sa force de frappe aussi... Son revers à deux mains surtout surprend ses adversaires: c'est un coup de hockey qu'il réussit à adapter au tennis avec une redoutable efficacité. Il frappe fort et sans faiblir tout le long de ses matchs, et le lift qu'il donne à sa balle lui permet de trouver des angles et des profondeurs de balles inconnus jusque là. Il n'hésite pas à attaquer quand il faut, il joue les points importants avec un culot et une réussite insolente... Bref, tout le monde en est vite convaincu, le futur N°1 mondial, c'est lui. Vainqueur à Londres puis à Sao Paulo, il se qualifie pour la finale de la WCT à Dallas où il fait figure de bébé aux côtés des chevronés Smith, Newcombe, Laver, Ashe, Kodes, Nastase et Okker. Nullement impressionné, il se qualifie pour la finale en éliminant Ashe puis Kodes. Seul Newcombe arrive à maîtriser cet ouragan. L'australien se rapproche ainsi de la première place du classement ATP, place qu'il espère bien conquérir lors du prochain Wimbledon. |
Pendant
que Newcombe, Connors et quelques autres se perdent dans les ambiances
pom-pom girls des premières rencontres Intervilles de la WTT, Borg
continue sur sa lancée. En mai, Il retrouve la terre battue européenne
aux internationaux d'Italie qui pour la première fois précèdent
Roland-Garros. Il est tête de série N°3 derrière
Nastase et Kodes. En demi-finale, il rencontre un certain Guillermo Vilas,
non classé. Pas de revers à deux mains chez ce jeune argentin,
mais une concentration à toute épreuve, une terrible condition
physique et un revers lifté long et puissant qui fait des ravages.
Ce sont deux cogneurs et deux renvoyeurs qui vont s'affronter pendant trois
heures pour s'arrêter à la nuit tombante à 1 partout
au cinquième set. Pour les deux joueurs, c'est la pire des situations:
le match doit reprendre le lendemain à 11H, et le vainqueur jouera
la finale contre Ilie Nastase dans l'après midi. Le matin, c'est
Borg qui gagne la partie de poker 7-5 au cinquième set. L'après
midi contre le N°1 mondial, il a le culot et la réussite de
son âge: il frappe fort, joue long et surtout monte systématiquement
au filet. Repoussé au fond du court, Nastase n'a pas le temps de
trouver de solutions: ses improvisations et ses coups de pattes légendaires
partent de trop loin, et ses facéties n'arrivent pas à déconcentrer
son jeune adversaire. Avec une régularité de métronome,
Borg vise les angles et place des volées gagnantes à chacune
de ses montées. Résultat : victoire sans appel 6-4 6-3 6-2
! Pour Nastase, ce n'est pas une défaite, c'est une humiliation!
On peut dire que c'est ce jour là, à Rome que Borg a conquis définitivement sa place parmi les grands du tennis. Il n'a pas encore 18 ans... |
Première grande victoire à Rome |
Harold Salomon et son étrange revers à deux mains défensif. |
Voilà
maintenant Borg parmi les favoris des internationaux de France. C'est mérité
et il va assumer avec brio ses nouvelles responsabilités. Arrivé
à Paris une heure avant son premier match, il n'est pas très
en jambe pour ses débuts contre le français Jean-François
Caujolle. Mené 4/4 et 40/0 au troisième set - les deux premiers
tours se jouaient encore en deux sets gagnants -, il se concentre et fait
neuf points de suite! La suite de son parcours vers la finale n'est pas
non plus de tout repos: 5 sets contre Van Dillen - qui n'a pourtant jamais
réussi sur terre battue -, 5 autres contre le mexicain Ramirez,
et un demie-finale qu'on n'attendait pas contre Harold Salomon, un jeune
américain qui va vite se faire une réputation de meilleur
crocodile du monde. Cet inlassable renvoyeur n'a en effet aucun des
coups qui font un champion de tennis: pas de service, pas de volée,
pas de coup droit, un revers à deux mains défensif... Mais
avec ses jambes de marathonien, son adresse naturelle, son placement parfait
et son incroyable patience, il use ses adversaires jusqu'à l'énervement.
On le dit capable de jouer 4 à 5 heures de suite sans ressentir
la moindre fatigue ! Il vient justement de se faire un nom en triomphant
du N°1 mondial Ilie Nastase en 5 longs sets acharnés. Le roumain,
usé et fatigué, finit par manquer de patience, il craque
dans les deux derniers jeux, battu 7-5 au cinquième set...
Borg lui ne manque pas de patience, ni de condition physique. Il bat Salomon en quatre sets mais le score sévère (6-4 2-6 6-2 6-1) ne reflète pas la partie. Le suédois accède à la finale après trois longues heures de jeux et d'interminables échanges. Et chose curieuse, c'est l'américain qui quitte le court victime de crampes - ce qui ne lui arrivera pas souvent pendant sa carrière... |
Après
cette débauche d'effort, on craint que le suédois ne s'éffondre
dans l'ultime partie. Aura-t-il la force d'aller jusqu'au bout ? D'autant
que son adversaire en finale, Manuel Orantes a eu lui un parcours plutôt
tranquille. C'est lui le favori de cette finale inédite. A 24 ans,
l'espagnol spécialiste de la terre battue a enfin l'occasion de
rejoindre son glorieux aîné Manuel Santana
au palmarès de Roland-Garros.
La finale débute très mal pour le suédois. Orantes est en confiance et joue à la perfection. Agressif et précis, bien aidé par son merveilleux revers d'attaque, l'espagnol empoche le premier set 6/2. Le cavalier seul continue jusqu'à 4/1 quand tout à coup, tout s'écroule chez l'espagnol. Borg de plus en plus précis joue long et martèle la ligne de fond, faisant 4 jeux en 5 minutes. A 5/4, Orantes sauve 3 balles de sets et semble se reprendre. Il se bat sur toutes les balles et égalise enfin après un très long jeu. Le jeu s'égalise et les deux joueurs vont jusqu'à 4 partout dans le tie break. L'espagnol tente alors sa chance au filet et mène 6/4. L'ultime retour de service de Borg est dans le filet et Orantes mène deux sets à zéro. |
Orantes en route vers la finale |
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Tout
semble joué pour l'espagnol qui se trouve alors en position très
favorable, mais il est fatigué. Au début du troisième
set, il bataille longuement sur son premier jeu de service qu'il perd.
Orantes semble alors démotivé. il se bat encore sur son service
à 2/0 mais le perd encore. Il n'insiste pas et laisse filer le set
pour profiter du repos. Après une bonne douche et quelques minutes
pour souffler, on se dit que l'espagnol va conclure au quatrième
set, mais il n'en est rien. Le repos n'a pas été suffisant.
Orantes reprend le set sans timing, son coup droit est déréglé,
son revers moins précis, il est constamment débordé.
C'est qu'en face, le rythme n'a pas faibli. Le suédois continue
son travail de sape, et ses coups puissants en fond de court ne permettent
plus aucune attaque. On eut alors l'impression qu'une effroyable machine
à broyer était en marche et que plus rien n'allait pouvoir
l'arrêter. A 4/0, l'espagnol fait difficilement un jeu, plus pour
rester dans la partie que pour essayer de remonter ce set déjà
perdu. Borg que rien ne semble pouvoir perturber conclut vite ce quatrième
set 6/1.
<== Borg sur le chemin de la gloire |
Au
début du cinquième set, c'est déjà presque
fini. Borg ne faiblit toujours pas malgré ses dix-huit ans. L'espagnol
fait encore illusion un jeu, le temps d'égaliser à un partout
puis s'écroule définitivement. Il ne fait plus que 4 points
jusqu'à la fin du match. Pour la poignée de main finale,
Borg esquisse un petit sourire, mais ne manifeste aucune émotion
particulière. C'est son troisième match en 5 sets, son quatrième
match difficile de suite, et il ne semble pas fatigué...
Cette fois, plus personne n'en doute, un nouveau très grand champion est né. Et son âge lui laisse encore une belle marge de progression. On ne manqua pas alors de remarquer que le record de Rosewall, vainqueur à 18 ans et 8 mois en 1953, venait de tomber. C'était il y a déjà vingt-et-un ans, et cela semblait être une autre époque, une autre génération de joueurs, et même un autre tennis. Et pourtant, étrange transition, au tournoi de Wimbledon qui suivit, c'est encore de l'inusable petit australien dont qu'il va être question. Et de quelle façon ! |
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Après ses victoires à Rome et à Paris Lennart Bergelin remet à Borg la décoration du meilleur athlète suèdois de l'année 1974. |
Tintin (à gauche) et de Newsweek (à droite) |
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Dernière mise à jour : 10
avril 2010
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Avril 2010.
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